Au Bonheur des Dames paraît la même année, 1883, que le célèbre roman de Maupssant, Une Vie. Deux monographies romanesques, écrites par des hommes, sur les femmes. Et singulièrement, là où le second sombre dans une sorte de pessismisme schopenhaurien, le premier propose un roman de l'optimisme : une histoire d'amour qui finit bien. Au prix de quelle ironie!
Et c'est là le génie de Zola, le happy ending.
On sait le goût tragique des naturalistes. La vie finit mal. Alors, pourquoi les fictions devraient-elles mentir si elles imitent la nature? Mais ce qui est à l'ouvre dans le Bonheur des Dames, c'est aussi une tragédie. Envers et contre tout. Malgré les apparences. Et cette tragédie, c'est cette fin heureuse. Denise, la pauvre provinciale, la petite vendeuse orpheline, montée à Paris, avec un enfant sur les bras, ne peut qu'épouser le riche directeur d'un Grand Magasin, séducteur de son état, aveugle à la misère humaine, amoureux de ce qui lui résiste et qu'il ne possède pas.
Cet homme s'appelle Octave Mouret.
L'ironie zolienne frappe tout azimut et installe le paradigme social de la secrétaire mariée à son patron, de l'infirmière à son médecin, de l'hôtesse de l'air à son pilote. Bref, Zola démonte avec finesse les mécanismes sociaux qui unissent l'amour et le pouvoir, la domination et le sexe. Qu'on ne se fasse guère d'illusion, quand bien même tente-t-on d'y échapper, on y tombe la tête la première.
Avec fracas.
Est-ce là la seule raison de relire Au Bonheur des Dames? Non. Il y a aussi dans le livre une force visionnaire et inquiétante. Zola, tout en faisant mine de décrire les changements sociaux de la fin du XIXe siécle - l'apparition des premiers Grands Magasins - fait le procès de ce qui mènera, un siècle plus tard, à la mondialisation. Au fusion/acquisition. Aux chaînes. On savoure alors amèrement la cinglante ironie du titre : le « bonheur des dames » fait le malheur des hommes, entendre, l'humanité.
Dans ce roman, en effet, tous les personnages sont pris au piège de l'individu, du gain, du capitalisme, en un mot...
La présente édition reprend celle de la fameuse "Bibliothèque Charpentier", créée par Georges Charpentier, qui se définissait lui-même comme « l'éditeur des naturalistes ».
Ce livre séduira aussi le lecteur du XXIe siècle, car Au Bonheur des Dames, demeure une excellente "saison" de la série des Rougon-Macquart.
réconciliations
Lorsque sa lecture me fut imposée, ce fut une purge pour l'adolescente que j'étais (ingrate créature).
Cependant, le peu de souvenirs que ce gardais des passages que j'avais lus étaient extraordinairement vivaces (lorsqu'ils décorent une partie du magasin avec des ombrelles / parapluies de toutes les couleurs notamment).
L'étudiante, face à un devoir d'architecture sur le Bon Marché, un des premier grand magasin, s'est souvenue de l'existence de ce livre dont le magasin, Au Bonheur des Dames était directement inspiré.
Ce fut la réconciliation. Suivre les pas de l'héroïne, son ascension, toutes ces descriptions qui rendaient l'endroit plus vivant à chaque instant...
Dans un monde où il est maintenant si commun de faire ses courses dans un super, voire un hyper, marché, il est bon de se replonger dans la genèse de ces temples de la consommations.
Penchez vous donc pour la première ou la énième fois sur cette histoire et celle de cette "cathédrale du commerce".