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"Le pays des Tarahumaras est plein de signes, de formes, d'effigies naturelles qui ne semblent point nés du hasard, comme si les dieux, qu'on sent partout ici, avaient voulu signifier leurs pouvoirs dans ces étranges signatures où c'est la figure de l'homme qui est de toutes parts pourchassée.
[...] Que la Nature, par un caprice étrange, montre tout à coup un corps d'homme qu'on torture sur un rocher, on peut penser d'abord que ce n'est qu'un caprice et que ce caprice ne signifie rien.
Mais quand, pendant des jours et des jours de cheval, le même charme intelligent se répète, et que la Nature obstinément manifeste la même idée ; quand les mêmes forment pathétiques reviennent ; quand des têtes de dieux connus apparaissent sur les rochers, et qu'un thème de mort se dégage dont c'est l'homme qui fait obstinément les frais, - et à la forme écartelée de l'homme répondent celles devenues moins obscures, plus dégagées d'une pétrifiante matière, des dieux qui l'ont depuis toujours torturé ; - quand tout un pays sur la pierre développe une philosophie parallèle à celle des hommes ; quand on sait que les premiers hommes utilisèrent un langage de signes et qu'on retrouve formidablement agrandie cette langue sur les rochers, certes, on ne peut plus penser que ce soit là un caprice, et que ce caprice ne signifie rien."
(Extrait de La montagne des signes.)
Artaud le Mômo
A l'âge où on s'identifie aux plus grands des suppliciés de la littérature parce qu'on a des boutons sur le front, pas de copine et que nos parents ne comprennent pas la musique qu'on écoute, à cette âge là j'ai découvert Artaud, Le grand Mômo des lettres françaises. Précisément par son voyage au pays des Tarahumaras, ce peuple du Nord du Mexique chez lequel il partit en 1936, accablé par un sentiment de vide, chercher un moyen psychologique et spirituel de survivre, de "briser la malchance" comme il l'écrit. Les textes qu'il produit relatent son initiation au peyotl, un cactus contenant des alcaloïdes hallucinogènes, utilisé par les Tarahumaras lors de séances rituelles auxquelles Artaud aurait assisté. Aurait car personne ne fut témoin de ses aventures à cheval dans les montagnes. Après tout peu importe. J'ai toujours pris ces textes comme des traces d'une expérience initiatique aux confins de la folie et de la poésie, du même calibre que Kinski dans Fitzcarraldo ou Bernanos dans la Montagne morte de la vie. Artaud raconte que des formes se dessinaient sur son passage dans la montagne, que les Tarahumaras savaient qui étaient les Rois Mages bien avant les Chrétiens, ou bien encore qu'ayant montré une image du Christ aux Tarahumaras, ils y reconnurent le saint visage. Entre documentaire ethnologique et délire total, prose et poésie, descriptions classiques et interprétations saugrenues, Artaud laisse derrière lui un livre unique et inclassable, une expérience de lecture comme il en existe peu.
Un an après son voyage au Mexique, Artaud part en Irlande avec la canne de Saint-Patrick, s'initier aux mystères des druides et de la philosophie nordique. Il sera ramené en France, de force, et interné dans divers asiles durant 9 années, survivant 2 ans de plus seulement à un régime d'électrochocs et de privations, le visage émacié et paraissant un vieillard de seulement 52 ans.